Retour sur évènements: colloque « De Luther aux protestants – enjeux et actualité des 500 ans de la Réforme » Centre Œcuménique Saint-Marc – 7 octobre 2017

« Dieu nous donne des noix », écrivait Luther, avant d’ajouter :  « Il ne nous les casse pas »…

C’est par ces mots que Joël Geiser, président du comité local d’organisation de l’anniversaire des 500 ans de la Réforme, a ouvert le colloque intitulé : De Luther aux protestants : enjeux et actualité des 500 ans de la Réforme. « Casser la coque pour découvrir Luther en intériorité ; décortiquer les méandres et les peaux revêches de cette histoire conflictuelle, avec ses héritages multiples ; presser la noix jusqu’à en sortir l’huile pour adoucir les plaies et éclairer notre chemin ; user enfin de toute cette énergie reçue pour annoncer le Christ et vivre l’Evangile. »

Tout un programme !

Si elles n’ont pas épuisé le sujet (!), les contributions des six intervenants ont permis aux quelques 200 participants à cette journée d’en explorer de façon éclairée certains des champs les plus intéressants pour notre monde d’aujourd’hui.

Marianne Carbonnier Burkard a d’abord évoqué l’instabilité du statut de la Réforme dans l’Histoire selon les périodes – et ce, dès l’origine. Vécue comme un moment de rupture et un temps de renaissance (ou de catastrophe) pour l’Eglise à l’époque où l’histoire était perçue à travers le prisme du salut, la « Réformation » a été considérée après la Révolution française comme la matrice de la modernité avant d’être réduite, dans la deuxième partie du 20ème siècle, à une source modernisante parmi beaucoup d’autres. Depuis une vingtaine d’années, on assiste à un « retour » de la Réforme en tant qu’événement décisif et cohérent dans un basculement de l’histoire dont nous sommes les héritiers bien au-delà de la seule sphère religieuse : invention du pluralisme, liberté de conscience… Au-delà de tout ce qui apparaît « routinisé » de notre point de vue contemporain, le protestantisme est aujourd’hui considéré comme un « incubateur permanent de réformes » depuis ses origines.

Interrogé sur les sources, la pensée et la trace de Luther, Marc Lienhard a rappelé que Luther ne s’est pas considéré lui-même comme un réformateur. Il s’inscrivait au contraire dans la longue tradition représentée notamment par Saint-Augustin, Bernard de Clairvaux et Jean de Gerson qui considérait la corruption de l’homme comme une réalité permanente et envisageait le péché de manière radicale. Sa théologie souligne l’altérité radicale de Dieu (qui échappe à l’entendement humain), valorise la croix (pour pouvoir être saisi, Dieu passe par l’ignominie du supplice), postule que la parole de Dieu doit transformer l’homme et considère que la vie chrétienne est polarisée entre la foi et l’amour. Il a également milité pour la distinction des deux règnes, spirituel et temporel. Comme beaucoup d’autres, Luther concentrait a priori ses critiques sur les travers de l’Eglise et pensait que Dieu seul était capable de la réformer. Parce qu’elles ont entraîné la contestation de l’autorité du pape, les attaques contre les indulgences ont enclenché un processus de rupture alors que Luther restait en fait … profondément catholique : son cheminement spirituel est indissociable de l’histoire de son temps et pourtant, après lui, rien ne sera tout à fait comme avant de la culture occidentale et de la théologie dominante.

Président du Conseil National des Evangéliques de France (CNEF), Etienne Lhermenault était interrogé sur la filiation entre les Evangéliques et la Réforme, soulignant d’emblée que poser la question revient à supposer que la réponse n’est pas évidente… Bien que l’évangélisme se caractérise par une extrême diversité, l’intervenant a relevé quelques constantes qui lui donnent sa cohérence : le biblicisme, le crucicentrisme, le conversionnisme, l‘activisme, l’organisation congrégationnaliste et le goût du travail en réseau (au détriment de l’institution). Il a également relevé que deux grands courants sont identifiables au-delà du foisonnement des Eglises qui s’y réfèrent : le courant piétiste orthodoxe, marqué par une forte empreinte puritaine, très missionnaire, qui valorise la vie pieuse et qui considère que le témoignage doit être l’œuvre principale du chrétien ; et le courant pentecôtiste charismatique qui valorise l’expérience sensible de Dieu. C’est ce courant, né aux Etats Unis au début du 20ème siècle, qui est en très forte expansion à travers le monde. Concernant la question du lien entre les Evangéliques et la Réforme, Etienne Lhermenault considère qu’il est complexe et … pas toujours assumé. Selon lui, l’Evangélisme doit plutôt être vu comme héritier des Réformes (réforme magistérielle, réforme radicale et Réveils) et qu’il est par ailleurs plus proche de Calvin que de Luther, en particulier dans son rapport à l’Ecriture Sainte (sola scriptura).

Sociologue, Pierre Bréchon a entraîné l’auditoire sur la piste des valeurs du protestantisme en France, bien que les études de référence sur ce thème soient peu nombreuses[1] et que la question de la représentativité des échantillons soit problématique du fait du caractère très minoritaire de la population concernée et de différences notables entre la composante luthéro-réformée (environ 2/3 des protestants en France) et la composante évangélique. Globalement, les données révèlent une population majoritairement urbaine et d’un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne, surreprésentée dans l’enseignement, la recherche et les métiers médico-sociaux. Sur le plan de l’éthique, on note un haut niveau de confiance à l’égard des institutions, une conception active de la citoyenneté à travers l’engagement associatif, une tendance au libéralisme dans les domaines de l’économie et des mœurs (avec davantage de conservatisme chez les évangéliques sur les thèmes relevant de la vie privée) et une sensibilité sociale sur les questions écologiques et de solidarité. L’intervenant a souligné en conclusion que c’est plutôt à l’échelle européenne qu’à celle de la France qu’il faut chercher les traces d’un « héritage protestant ». Au fil des siècles, le protestantisme a défendu « l’agir en conscience », mais une conscience éclairée par la Bible. S’il a contribué à une certaine modernité en prônant les valeurs d’individualisation, celles-ci sont aujourd’hui, dans une société fortement sécularisée, détachées de la notion de transcendance.

Le sujet suivant était dévolu à Jean-François Chiron, de l’Institut catholique de Lyon : « Une ou des Eglises ? Les débats actuels en ecclésiologie ». Sujet délicat tant les « imaginaires ecclésiologiques » des catholiques et des protestants sont différents…. Ainsi, à la question de savoir si l’Eglise du Christ peut être constituée par la communion des églises historiques, les protestants répondront que l’union des fidèles ne dépend pas de l’être ecclésial mais de la relation de chaque fidèle à Dieu – et les catholiques diront au contraire qu’elle dépend de l’unité visible de Eglise, la relation des fidèles à Dieu passant par l’Eglise. Alors que les catholiques considèrent que l’Eglise est le lieu déterminé de l’action de Dieu, la Réforme a, de tout temps, fermement contesté cette idée. La requête protestante d’une reconnaissance mutuelle de confessionnalité se heurte donc toujours au point de vue catholique selon lequel le protestantisme présente un déficit d’ecclésialité rédhibitoire. En dépit de tout ce que les églises chrétiennes ont en commun et du chemin de rapprochement parcouru, le registre visible et tangible des Eglises et le registre invisible que constitue la communauté des croyants ne correspondent toujours pas et la question fondamentale demeure :  l’Eglise comme communion des fidèles doit-elle être présente dans une seule église institutionnalisée, unifiée, tangible et visible  ou peut-elle se satisfaire d’une organisation fédérative, d’un agrégat plus ou moins intégré ? A l’évidence, le sujet n’est pas épuisé !

Olivier Abel était chargé de conclure le colloque avec une réflexion sur la foi et la pensée protestante au défi du monde actuel. Interrogeant d’abord la nature des défis d’aujourd’hui, l’intervenant a rappelé que l’humanité a été conduite depuis plusieurs siècles par un désir d’émancipation et que la Réforme était contemporaine de cet âge de rupture émancipatrice – également portée par des progrès techniques cumulatifs. Or le « grand récit du progrès » s’enraye et même s’éboule actuellement, en particulier parce que la question des finalités s’est effacée au profit de la seule question des moyens. L’utopie selon laquelle il y aurait toujours des solutions se heurte à des limites partout visibles au niveau planétaire, sur les plans écologique, social, économique et politique. Face à une idéologie de croissance addictive et funeste, aucune pensée alternative de long terme ne parvient à s’imposer…  A ce stade de l’exposé, l’auditoire a été invité à ne pas désespérer, à ne pas déserter, à travailler sur les « intentions » et à faire face aux difficultés du temps présent dans l’assurance que les religions peuvent aider à mobiliser le «  fond de bonté » de l’humanité dans les temps sombres (cf Paul Ricoeur). Calvin, lui-même, n’avait-il pas contribué à apaiser les peurs dans une période apocalyptique ? Depuis le 18ème siècle, l’importance prise par le « moi » au détriment du « nous » nous a éloignés du souci de faire monde commun. Le protestantisme invite à se décentrer des inquiétudes liées à la théologie du salut et à revenir au cœur battant de la Réforme selon lequel la grâce est fondamentalement un « insouci de soi ». Il encourage à considérer que le sujet de la foi n’est pas le « je » mais le « nous » qui engendre la suite des générations, qui fait de l’humain un être capable de dissensus interne et qui le rend apte à discerner le bon équilibre entre émancipation et fidélité, à se laisser bouleverser pour exister pleinement.

Des remerciements aux intervenants, à Philippe Gagnon et Jean-Paul Lesimple (modérateurs), à Elisabeth Bouaniche pour ses magnifiques respirations musicales au violoncelle ; et toute notre gratitude à la communauté de Saint Marc, dont le soutien, la disponibilité et la force de travail ont permis à cette journée de se dérouler au mieux.

[1] A cette date, les résultats du sondage réalisé par Ipsos pour Réforme et la Fédération protestante de France sur «les Protestants en 2017 » n’étaient pas encore publiés (cf Réforme paru le 19 octobre 2017).

Sylviane SPINDLER

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